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Le spectre d'une succession ab intestat, ou l'importance d'avoir un testament

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Le spectre d'une succession ab intestat, ou l'importance d'avoir un testament
Sophie Casgrain
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Que ce soit pour diverses raisons, soit par manque de temps, en raison d’un inconfort face à l’éventualité de la mort, ou des coûts que cela implique, de nombreuses personnes négligent de préparer un testament. Cela peut se comprendre; la mort demeurant encore un sujet tabou de notre société. Il est toutefois important de prendre quelques minutes pour réfléchir en termes de situation patrimoniale et de planification testamentaire, car mourir sans testament déclenche une succession que l’on appelle « ab intestat », laquelle peut avoir de graves conséquences, tant d’un point de vue fiscal, que d’un point de vue légal et d’administration de la succession.

QU’EST-CE QUE LA SUCCESSION AB INTESTAT?

Tout d’abord, la succession ab intestat (ou succession sans testament) survient, comme son nom l’indique, lorsqu’une personne décède sans avoir laissé de volontés quant au partage de ses biens sous une forme testamentaire quelconque [1]. En l’absence de directives laissées par le défunt, il faut s’en remettre aux règles de la dévolution légale des biens énoncées par le Code civil du Québec [2] (ci-après « C.c.Q. »), lequel prévoit le droit applicable entre parties privées.

De manière générale, en vertu des règles prévues au C.c.Q., lorsque le défunt laisse un conjoint et des descendants en ligne directe (c-à-d. enfants, petits-enfants), la succession est répartie 1/3 au conjoint survivant, et 2/3 aux descendants. À défaut d’avoir un conjoint, la succession serait dévolue entièrement en faveur des descendants. Si le défunt ne laisse aucun descendant, la succession serait alors dévolue en faveur du conjoint et des ascendants privilégiés (c-à-d. père et mère) ou encore des collatéraux privilégiés (c-à-d. frères et sœurs). En l’absence de descendants, diverses combinaisons sont possibles, considérant une situation avec ou sans conjoint, mais l’important est surtout de retenir qu’en de très rares cas le conjoint survivant héritera de la totalité de la succession.

Autre point très important, mais malheureusement souvent négligé, ou encore mal compris, est la situation du conjoint de fait. Bien qu’en ce qui a trait à plusieurs aspects de la vie actuelle, si la situation du conjoint de fait s’apparente de manière quasi parfaite à la situation des conjoints mariés, il n’en va pas de même au niveau des règles du C.c.Q. Par conséquent, au Québec, aux fins du droit civil, le conjoint de fait n’est pas un « conjoint ». Dans le cadre d’une succession sans testament, le conjoint de fait ne sera pas considéré aux fins du partage de la succession. Un défunt laissant un conjoint de fait et des descendants serait considéré comme ayant uniquement des descendants.

QUELS SONT LES LIENS ENTRE LE DROIT CIVIL ET LA FISCALITÉ?

« En ce monde, rien n’est certain, à part la mort et les impôts. » Cette citation, pour le moins célèbre, attribuée à Benjamin Franklin, est d’autant plus véridique dans le cas d’une succession sans testament. Dans une telle situation, c’est la mort qui causera les impôts, puisqu’au moment du décès, le défunt doit s’imposer sur la plus-value de ses actifs non-réalisée à ce jour. Le défunt est réputé avoir disposé, au moment de son décès, de l’ensemble de ses actifs pour un montant équivalent à leur juste valeur marchande.

On aurait probablement pu par ailleurs éviter ces impôts dans l’immédiat, et reporter à plus tard, en prévoyant à l’avance, une planification successorale efficace.

Dans la mesure où le défunt laisse derrière lui un conjoint (qu’il soit avec ou sans enfant), la succession ab intestat entraîne, pratiquement en tous les cas, une facture d’impôt supplémentaire que ce qui aurait pu être avec la présence d’un testament. C’est très simple: cet état de fait découle des dispositions permettant un roulement des biens du défunt en faveur du conjoint survivant. En vertu du paragraphe 70(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu (ci-après « LIR ») , il est possible, lorsque le transfert des biens est effectué en faveur du conjoint, de choisir que ce transfert soit effectué au coût (et non à la juste valeur marchande) des biens susmentionnés. Il n’en résulte alors aucun gain en capital pour le défunt. C’est ce que l’on appelle un « roulement » fiscal.

Toutefois, dans la mesure où il n’y a pas de testament en place, le conjoint ne pourra hériter de l’entièreté des biens. Les biens dévolus soit en faveur des enfants, ou encore des ascendants ou collatéraux privilégiés, ne pourront bénéficier du roulement fiscal. Le défunt devra donc s’imposer, du moins en partie, sur du gain en capital. Encore une fois, il est bien important de penser qu’aux fins fiscales, la LIR [3] ne fait pas de distinction entre le « conjoint marié » et le « conjoint de fait ». Si le défunt sans testament laisse un conjoint de fait, il n’y aura aucun roulement des actifs possible, puisque ce dernier ne sera pas reconnu comme un héritier.

Il s’agit du principal écueil au niveau fiscal, engendré par la succession ab intestat, mais celle-ci peut engendrer d’autres limitations également. Brièvement, la succession ab intestat peut limiter les possibilités de planification post-mortem. Elle implique des legs directs en main propre (puisqu’aux fins du droit civil, les enfants et/ou conjoint et/ou autres personnes héritent directement des biens). Le testament aurait pu permettre le legs de biens en fiducie, idéalement par le biais d’une fiducie exclusive au conjoint si l‘on veut bénéficier du roulement fiscal mentionné plus haut, fiducie qui pourrait permettre éventuellement une certaine forme de fractionnement de revenus, venant ainsi diminuer la facture globale d’impôt.

EST-CE QUE CELA A RÉELLEMENT UN IMPACT AU NIVEAU DU RÈGLEMENT DE LA SUCCESSION?

À ce stade, une personne seule, sans conjoint ni enfant, pourrait très bien se dire que le testament n’est pas requis dans son cas. Il est bien possible, en effet, que le testament ne soit pas « nécessaire », mais il pourrait tout de même s’avérer bien « utile ». L’absence de testament ne crée pas uniquement des problématiques au niveau de la dévolution des biens. Il peut, par ailleurs, engendrer des soucis de nature administrative.

Il suffit de penser à la nomination des liquidateurs. Le testament permet de choisir qui l’on souhaite voir tenir ce rôle. Il devrait normalement s’agir d’une personne de confiance, proche du défunt, puisqu’il s’agit d’une relation très personnelle. Il faut considérer que le liquidateur aura la charge de l’administration des biens du défunt. Bien évidemment, dans le cas d’une succession ab intestat, le défunt n’a pas pu choisir qui agira à titre de liquidateur. Cette charge reviendra de plein droit aux héritiers [4]. Ces personnes ne correspondront peut-être pas aux personnes qui auraient été choisies par le défunt s’il avait pu désigner lui-même son liquidateur.

Par ailleurs, en l’absence de directives testamentaires, les pouvoirs du liquidateur seront ceux prévus par le C.c.Q., soit des pouvoirs d’administration du bien d’autrui. Il peut s’agir de pouvoirs larges, mais peu explicites. Certaines actions peuvent donc être limitées pour le liquidateur d’une succession ab intestat. Le testament permet quant à lui d’expliciter les pouvoirs du liquidateur, voire de les agrandir. Cela peut s’avérer utile surtout dans le contexte où le défunt était actionnaire d’une société privée. Dans ce cas, il est souvent avantageux de procéder à une réorganisation corporative post-mortem afin de maximiser les attributs fiscaux des actions et des sociétés, et d’obtenir le portrait fiscal global le plus avantageux possible pour le défunt et sa succession.

De plus, si des héritiers mineurs font partie de la succession ab intestat, la dévolution d’une partie ou de la totalité des biens en leur faveur pourrait impliquer la mise en place d’un conseil de tutelle, connu également sous le nom de « conseil de famille ». Cela survient notamment lorsque le parent ou tuteur légal de l’enfant a à sa charge des actifs appartenant à l’enfant, pour une valeur d’au moins 25 000 $. Certaines avenues peuvent être envisagées afin de limiter les actifs amenant à l’ouverture du conseil de tutelle, mais, dans bien des cas, il ne sera pas possible de contourner la mise en place du conseil entièrement si les enfants mineurs se trouvent être les seuls héritiers du défunt.

Le testament permet également de prévoir un bon nombre de clauses prévoyant diverses situations ou legs. Par exemple, si le défunt souhaite effectuer certains legs particuliers en faveur de certaines personnes, sans que celles-ci soient des légataires universelles de la succession. Le testament permet également de prévoir des dispositions relatives aux funérailles du défunt. Dans le cas de conjoints mariés, il est également possible de régler le cas du régime matrimonial et du patrimoine familial, afin que ceux-ci ne se cumulent pas par-dessus la succession (ce qui peut s’avérer problématique si le conjoint n’est pas l’unique héritier, comme nous avons vu que cela était impossible dans le cas d’une succession sans testament). Le testament peut également prévoir des alternatives au legs en main propre, ou au legs tout simplement, en prévoyant plutôt la mise en place d’une fiducie (tel que décrit précédemment), ou encore l’octroi d’un droit d’usage ou un usufruit sur un bien (par exemple, dans le cas d’une seconde union, où l’on souhaite une transmission du bien à la génération suivante, tout en conservant la possibilité pour le conjoint survivant d’utiliser le bien sa vie durant).

Pour conclure, il n’est peut-être pas très réjouissant de prévoir sa mort de son vivant, mais prévoir certaines dispositions par testament peut éviter bien des problèmes aux survivants. Ne pas prévoir de testament et s’en remettre aux règles de la dévolution légale, comme prévu par le C.c.Q., laisse peu de place à la planification dans le but de faciliter la gestion de la succession et de limiter la facture d’impôts. Le testament n’est pas forcément un écrit très complexe et n’est pas obligé d’être fait sous forme notariée. Il est toutefois conseillé de faire appel à un juriste (que ce soit un notaire ou un avocat) pour la rédaction. Par ailleurs, si vous détenez des actifs importants, notamment des actions de sociétés privées, il peut être avantageux de consulter un fiscaliste dans le cadre de la rédaction de vos dispositions testamentaires afin de vous assurer que celles-ci permettront la meilleure optimisation fiscale possible.

N’hésitez pas à communiquer avec nous si vous avez des questions concernant votre planification testamentaire actuelle, ou pour la mise en place d’une planification de testament, il nous fera plaisir de répondre à vos questions!

[1] Les règles de la dévolution légale des biens pourraient s’appliquer également en cas de dispositions testamentaires « partielles », c’est-à-dire que le testament ne prévoit pas ce qu’il advient de l’ensemble des biens du défunt à son décès. Il s’agit d’un cas de figure plus rare, qui ne sera pas discuté en détail ici.

[2] RLRQ, C. CCQ-1991.

[3] Et son équivalent de la LI

[4] Art. 785 C.c.Q.

Publié le 10 juin 2021

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